Extrait du livre de Cécile Jouan « Comète » :
« Quand, le 15 juillet 1943, Franco a rencontré pour la première fois Jean Serment (Yvon Michiels), c’était à Orval, et Cartier (Antoine d’Ursel) assistait à l’entretien, il a exposé au nouveau chef belge le problème que représente à présent le passage de la frontière. Auparavant, les guides belges amenaient les « enfants » aviateurs directement en train de Bruxelles à Paris. Les trains, en effet, y sont maintenant si surveillés, et de même les douanes, que le passage par voie normale est devenu impossible pour qui ne parle pas couramment français. Il faudrait envoyer quelqu’un qui organiserait et dirigerait une série de « passes » clandestines. Le jeune homme, quant à lui, n’en connaît qu’une, à Sivry, qu’on utilisera pour commencer.
Jean Serment a promis de trouver quelqu’un, et vers la mi-août est arrivé à Paris Jean-Jacques (Albert Mattens). Jean-Jacques a vingt-quatre ans. C’est un ami de Deltour (Jules Dricot), venu comme lui du 1er carabiniers et de l’A.S. (Armée Secrète). Petit, mince, brun, l’air délicat, de beaux yeux pleins de douceur, une voix tranquille … Rien qu’à le voir, on se rend compte qu’on a devant soi quelqu’un de sûr. Dès le 3 septembre, muni d’une adresse que lui avait fournie Serment, Jean-Jacques est remonté à la frontière belge organiser la passe d’Erquennes. Il y a trouvé Maurice Dieu, le douanier, qui l’a présenté à son ami « Félix » - un jeune gars costaud, à la chevelure blonde, depuis 1941 spécialiste du passage d’évadés.
Dès que l’ombre tombe on quitte la maisonnette de Maurice pour s’engager, à travers champs et prairies, dans le no man’s land, large à cet endroit de 2 kms. Bavay est la première halte en terre française. Après quelques semaines, cependant, Felix l’avisé a trouvé une méthode plus rapide de faire franchir aux hommes la frontière : c’est de les cacher dans la voiture du docteur Aimé Colson, le médecin local, qui est connu dans toute la région « comme un vieux sou » qui passait chaque fois avec ses ‘colis’ les deux frontières, belge et française, l’une après l’autre. Maurice le douanier n’est-il pas au poste, prêt à intervenir au bon moment ? Et n’a-t-il pas, du côté français, de bien utiles relations ? A Bavay, le docteur conduisait ses passagers vers la maison de G (Gérard ?), le sous-chef de gare,. A 5 heures du matin, G. lui-même poinçonne les tickets, dans son uniforme et impassible, à l’entrée du quai où le guide et ses « enfants » prendront le train de Valenciennes. Le voyage jusqu’à Paris durera 9 heures. »
Extraits du livre de Remy, Tome II « Réseau Comète » :
Albert Mattens, dit "Jean-Jacques" parle :
"Jérôme
m'a donné comme instructions de trouver de nouveaux points de passage
sur la frontière belge, en sus de ceux de Sivry et d'Erquennes, qui
existaient déjà.
Le
premier que j’ai créé, si je ne me trompe pas, partait de Hertain en
Belgique, et aboutissait à Camphin, du côté français. Quand je dis
‘créé’, le
mot n’est pas tout à fait exact, car je bénéficiais naturellement des
indications qui m’étaient données du côté belge, comme du côté
français.
C’est ainsi que j’ai fait la connaissance du côté français de Maurice
Bricout, le douanier de Bachy, sur la filière Rumes-Bachy , grâce à son frère Albert, qui travaillait
avec le Docteur Fichaux sur la filière Sart-Poteries-Solre-le-Château.
Bientôt, j’ai disposé de six points de passage bien organisés, et, à
partir de ce moment-là, l’affaire a fonctionné comme une véritable agence
de voyages, avec une simplicité enfantine. (!)
Les
aviateurs arrivaient de Bruxelles, et, au lieu de les rencontrer en plein champ
ou sur la route, comme c’était le cas avant, j’avais partout deux relais,
un du côté belge, un du côté français, et même parfois un troisième
relais intermédiaire, où ils étaient conduits par nos amis du relais belge de
façon à éviter tout contact entre les
guides-convoyeurs venus de Bruxelles et moi ou
les guides français, Henriette ( Monique) Hanotte (qui était belge et à la fois « passeuse »
à Rumes et convoyeuse jusqu’à Paris), Amanda Stassart, Odile de Vasselot (
Jeanne). Au relais belge, les
aviateurs étaient priés de vider leurs poches de façon qu’il ne reste rien
de suspect, et les faux papiers belges qu’on leur avait remis étaient brûlés.
Sous enveloppe étaient les faux papiers français qui avaient été préparés
à Paris selon les indications données par Bruxelles au voyage précédent. Le convoyeur belge, après avoir déposé ses deux ‘colis’
au ‘relais belge’ repartait dès que possible vers Bruxelles, par le
train, comme il était venu. Les aviateurs finissaient leur (courte) nuit dans le relais belge, puis conduits par les « passeurs
frontaliers »
et, selon les points de passage, je leur faisais directement prendre le
train ou bien on allait à la gare (de Lille) par le bus.
Ou bien, ils étaient
pris en charge par le guide français. Il arrivait
le plus souvent que le convoyeur français, lui, passait la frontière,
de nuit à travers champs guidé par le « passeur », comme le
raconte Odile de Vasselot, dans son livre « Tombés du Ciel » pour
aller chercher les ‘enfants’ et les amener de nuit côté français. Au
petit matin, le petit trio (en général, un convoyeur guidait deux aviateurs) regagnait Paris,
par le train où les aviateurs étaient confiés à l’organisation de « Jérôme »
(Jacques le Grelle) pour la suite de l’évasion par les maillons Comète.
Jean-Jacques convoyait chaque semaine les lundi, mercredi et vendredi, ce qui faisait trois voyages aller et retour, avec l’assistance des charmantes jeunes filles qui servaient de guides, à titre volontaires.
Equipes des points de passage du réseau Comète à la frontière franco-belge pour la période d’août à décembre 1943 :
1.
Sivry-Sars-Poteries :
Dr Maurice Fichaux Maurice Vicaire Jean Vilain
Achille Dupont Georges Delgehier Clovis Cariou
Albert et Marie Bricout Les Frères Wilmar
2. Erquennes-Bavay :
François Bourelard Dr Aimé Colson Jean-Léon Massart
Maurice et Georgette Dieu Léon et Lucie Gérard Simon Calcus
3. Rumes-Bachy :
Henriette
(Monique) Hanotte Clovis
et Georgette Hanotte Mme Laure
Nelly et Raymonde Houëlle Jean Soetemondt Jean Lamotte
Maurice
et Rachel Bricout René
Bricout Albéric Houdart
Abrahm
4. Hertain-Camphin :
Dr et Mme Henri Druart Bertha et Berthe Druart Daniel Diacre
Gaston Mathon Mme Diacre André Dewauvrin
Maurice Desson Louis Têtu et les siens Georges Maréchal
Jean Vandeneeckhouttte Daniel et Irma Dewailly
5. Beaumont-Maubeuge :
M. et Mme Charles M. Lecouturier Charles Gonce
Dr et Mme Maurice Verstraeten Marie Hanotiau Anna Coen
Anne-Marie Bouffault Madeleine Beauval Sylvie Derenne
Emmanuel Callebaut Octave Debergnies Jean Roy
François Fernand Marie Piette Louis Tellier
Marcel Van Wiytswinkel Albert et Jules Rolin
6. Quevy-Aulnoye :
Désiré Delhaye Gaston Jaupart
7. Bohan-Mezières-Charleville :
Hubert Renault
Les passages organisés par le relais belge de RUMES fut l'un des plus actifs et importants, avec la maison de la famille HANOTTE, qui se trouvait en face de la gare de Rumes, point pivot dans la ligne Comète.
Les convoyeurs/guides (Emile Roiseux, Albert Arnould 'le patissier', Raymond Itterbeek) venaient de Bruxelles et arrivaient à Tournai, d'où, souvent guidés par Henriette, dite 'Monique', prenaient le petit train jusque Rumes, avec leurs deux (ou trois) colis (aviateurs). Les aviateurs en sécurité, les guides s'en retournaient vite à Bruxelles.
Chez les Hanotte, les aviateurs étaient en général logés en attendant le moment du départ pour la France. Cette maison était en même temps une auberge (10 chambres), un restaurant, et, métier de Monsieur Hanotte, agent en douane et marchand de charbon. Il y avait donc du mouvement !
En préparation au passage de la frontière vers la France, Georgette Hanotte, la mère, vidait les poches et débarrassait l'évadé de tout signe rappelant d'où il venait (étiquette sur les vêtements, etc ). Elle leur donnait une nouvelle carte d'identité, des vêtements adéquats, un bon repas et un bon repos.
Ils étaient alors prêts pour la grande traversée de la France, après le passage délicat de la frontière, guidés par Monique, la fille de 20 ans, déterminée et l'oeil alerte. Le frère de Monique, Georges était caché comme réfractaire, dans un grenier de voisins non loin de là, mais Monique ne sut où il se trouvait qu'après la guerre.
Au lever du jour, Monique démarrait, suivie de ces deux (parfois trois quand l'un connaissait bien le français) aviateurs, elle suivait son chemin à travers les hautes herbes, champs et barbelés, et suivant ses contacts indispensables avec les douaniers (Bricout et Houdart) qui lui donnaient leurs heures de prestations sur la frontière, elle passait en France avec "ses hommes". Ensuite, elle attrapait à Bachy le bus des ouvriers matinaux parmi lesquels ils se fondaient, et qui les conduisait à la gare de Lille, d'où ils attrapaient le train pour Paris. Monique avait soin de prendre à un guichet son propre ticket et à un autre guichet les tickets des aviateurs, de cette façon les numéros de tickets ne se suivaient pas, ce qui était plus prudent en cas de vérifications.
Monique fut remplacée, lorsqu'elle était malade pendant une quinzaine de jours, par Amanda 'Diane' (connue après guerre comme 'Mouchka') STASSART et par Odile 'Jeanne' de VASSELOT, qui la remplacèrent pour le passage de frontière et convoyage jusque Paris. Odile était française tandis qu'Amanda était belge, habitant à Paris avec ses parents. Sa mère hébergeait souvent des aviateurs et le père faisait de la résistance clandestine. Ceux-ci furent tous les deux arrêtés et disparurent dans les camps nazis.
Monique a travaillé aussi sur la frontière au relais de Erquennes (Georgette DIEU, ...) et au relais de Hertain (Dr DRUART, ...) où elle passait aussi des "colis"..
© Comète Kinship Belgium