Le matériel d’aide à l’évasion d'un aviateur allié
Par Edouard Renière (mai 2010)
N.B. : Sauf mention contraire, toutes les illustrations proviennent du RAF Museum
Lors des missions au-dessus de l’Allemagne et des pays occupés de l’Ouest de l’Europe (la zone qui nous intéresse dans la cadre des activités de COMÈTE), les équipages des forces aériennes alliées étaient confrontés à trois possibilités. Soit ils rentraient à la base, blessés ou sains et saufs, ce qu’évidemment tous espéraient, sans se faire trop d’illusions, vu l’étendue des pertes encourues au fil des raids. Soit ils y laissaient leur peau. Ou alors, s’il leur fallait sauter en parachute, c’était ou bien l’arrestation au sol par des troupes allemandes ou des milices à leur solde, ou bien, s’ils avaient plus de chance, la possibilité de pouvoir échapper à l’ennemi et tenter de regagner l’Angleterre, point de départ de toutes les missions, en tout cas jusqu’à la libération de la France et de la Belgique à l’été 1944. La Royal Air Force (RAF), engagée dans le conflit aérien depuis le début de la guerre en 1939, et l’US Army Air Forces (USAAF), à partir du printemps 1942, n’ont jamais tellement mis l’accent sur une formation suffisamment approfondie du personnel navigant quant aux techniques propres à l’évasion. Si des centaines de milliers d’aviateurs reçurent une formation de base dans ce domaine, l’essentiel de leur instruction portait évidemment sur les tâches premières de chacun d’entre eux, qu’ils soient pilotes, copilotes, navigateurs, bombardiers, opérateurs radio ou mitrailleurs. Peu d’entre eux furent suffisamment informés des multiples dangers potentiels et des moyens et astuces pour les éviter au mieux. Aucune formation, par exemple, ne tenait compte de l’importance d’apprendre par cœur au moins un minimum de phrases usuelles dans la langue des pays concernés (Pays-Bas, Belgique, France). Au fur et à mesure des développements du conflit aérien, du nombre de plus en plus important d’appareils intervenant dans des raids sur les installations militaires, industrielles et de communications de l’ennemi et, a fortiori, du nombre d’avions abattus, l’aspect particulier des aides à l’évasion retint davantage l’attention des décideurs sans jamais cependant devenir une priorité. Les problèmes majeurs des équipages pouvant être amenés à devoir échapper à l’ennemi une fois au sol étaient tout d’abord de dissimuler leur parachute et autres éléments de leur équipement pouvant trop attirer l’attention. Ensuite, de se situer géographiquement, de s’orienter de manière à s’éloigner le plus possible des zones à plus forte concentration militaire allemande et à se diriger davantage vers le Sud, avec, pour la majorité d’entre eux, l’Espagne – pays « neutre » - comme ultime but à tenter d’atteindre. Les équipages de bombardiers de la RAF, volant de nuit de manière, selon les Etats-Majors, à assurer une meilleure couverture des cibles et une moins bonne détection, tant par les chasseurs de la Luftwaffe que par les artilleurs au sol, avaient l’avantage, tombant en parachute ou une fois au sol, d’être moins facilement aperçus par les patrouilles allemandes lancées à leur recherche. L’obscurité étant évidemment un obstacle à leurs possibilités d’orientation, ils attendaient pour la plupart le lever du jour pour tenter de se situer avant de quitter l’une ou l’autre cachette. Les responsables de l’USAAF, quant à eux, avaient opté pour le bombardement de jour, devant en principe assurer une meilleure visibilité des cibles et donc entraîner moins de victimes civiles grâce à une meilleure précision (ce qui ne s’est malheureusement pas toujours révélé aussi efficace qu’espéré). Les aviateurs américains amenés à sauter en parachute de leur avion condamné ou à le quitter au sol après un atterrissage forcé par exemple, avaient à la fois l’avantage de pouvoir se repérer un peu plus facilement et le gros désavantage de pouvoir mieux être suivis à la trace par l’ennemi, qui n’était jamais très loin du point de chute de leur avion ou de leur parachute. Les récits d’aviateurs évadés sont truffés d’épisodes souvent tragiques, teintés d’héroïsme, d’efficacité face au danger, d’imprudence et d’insouciance parfois (cf la moindre discipline souvent attribuée aux américains en comparaison avec celle des britanniques… évitons cependant les généralités à ce sujet et la caricature facile du genre « les américains, ceci, les anglais, cela »…) Il y avait souvent de l’humour aussi, mais également et surtout, la prise de conscience de la grande majorité des évadés des risques énormes encourus, à la fois par eux-mêmes et par ceux qui, courageusement, dans la mesure de leurs possibilités, avaient décidé de les aider. La grande majorité de ces témoignages des deux côtés de l’Atlantique honorent à juste titre la mémoire de ces nombreux helpers. Afin de faciliter leur évasion, de multiples moyens furent mis à la disposition des aviateurs partant en mission et ces récits d’évasion font également référence à l’utilisation de cartes, de boussoles, de billets de banque, de divers petits ustensiles destinés à faciliter leur évasion. Nous n’allons pas ici développer l’historique de ce type de matériel, dont l’origine remonte à ce qui avait été fourni à des soldats français susceptibles de devoir s’évader durant la Première Guerre Mondiale (boussoles, cartes géographiques, etc.,.) et dont se sont inspiré les forces armées de la Seconde, surtout du côté allié. Ce type de matériel devait par définition être peu encombrant, léger, efficace, et de nombreux ingénieurs et chercheurs se penchèrent au fil des ans à le mettre au point et à en perfectionner les divers aspects. Les premiers furent évidemment, dès avant la guerre, et en liaison avec des techniciens et ingénieurs civils, les spécialistes des services secrets britanniques et plus particulièrement le MI9 (Military Intelligence – Section 9) constitué en décembre 1939, qui fut chargé durant la guerre elle-même de s’occuper des évasions en Hollande, Belgique et France. Des trésors d’ingéniosité furent déployés pour imaginer et ensuite réaliser puis produire, parfois par millions d’exemplaires, ce genre d’articles.
Par la suite, Hutton, avec l’aide d’une firme londonienne réputée dans la fabrication d’instruments, fit réaliser par celle-ci des boussoles miniatures de divers types et destinées à la seule aide à l’évasion. Plus de 2 millions d’exemplaires en furent fabriqués pour distribution aux équipages. Ces boussoles miniature, de diverses formes et grandeurs, étaient dissimulées dans des boutons d’uniforme, dans des porte-plumes, des pipes, etc
Des boussoles individuelles furent également distribuées, dont quelques exemplaires ci-dessous :
Outre ces boussoles à proprement parler, d’autres éléments permettant de s’orienter furent intégrés à divers objets usuels. Il s’agit ici principalement d’aiguilles ou d’objets métalliques aimantés et permettant de trouver le Nord. A titre d’exemple :
Parmi les nombreux autres objets les plus ingénieux les uns que les autres figuraient entre autres des lacets de chaussure spéciaux constitués de fils dentelés pouvant servir de scie ; des bottes spécialement adaptées, dont une partie pouvait être détachée pour en faire ainsi de simples chaussures de marche. Ces bottes incorporaient également une doublure détachable pouvant se transformer en gilet laineux, ainsi que des compartiments secrets dans les talons. Exemples de talons de chaussures ou bottes avec cachette secrète :
Une des contributions les plus remarquables à toute la panoplie d’aide à l’évasion est sans conteste l’ « escape kit », l’équipement d’évasion, dont « Clutty » Hutton fut l’initiateur et le champion. Le kit fut distribué à chaque aviateur partant en mission au-dessus de l’Allemagne et de l’Europe occupée, à partir de l’automne 1940 aux hommes de la RAF, depuis le milieu de 1942 à ceux de l’USAAF. Différents modèles furent réalisés, en collaboration avec le MIS-X, le pendant américain du MI9, apportant au fil du temps certaines améliorations et adaptations. C’est ainsi que des pochettes continrent plus tard de la gaze, de la morphine et une seringue, un tube de sulfamide, une scie à métaux, davantage de cigarettes, etc.,. Il arrivait souvent que, dans la précipitation à devoir quitter l’avion, des aviateurs oubliaient de récupérer le kit qu’ils avaient déposé quelque part dans la carlingue et beaucoup s’en mordirent les doigts par la suite.
Outre l’escape kit, chaque membre d’équipage recevait des pochettes avec des cartes, généralement au nombre de trois, ainsi que de l’argent en billets de banque des pays susceptibles de devoir être traversés. A titre d’exemple, au milieu de 1942, cet argent était constitué de billets de francs français (7 de 100 F, 5 de 50 F et 5 de 10 F), de francs belges (3 de 100 F et un de 50 F) et d’un billet de 25 florins hollandais.
Pour terminer, signalons aussi qu’à partir d’une date indéterminée, des lexiques multilingues furent distribués à chaque aviateur. En voici un exemple : Volet «Anglais-Français» d’un dépliant cartonné multilingue Français / Italien / Allemand / Espagnol (Collection privée Édouard Renière) Malgré l’existence de ces petits dépliants, la barrière des langues se révéla être un des obstacles les plus importants au cours des évasions, tant dans la communication avec les helpers que, par exemple, lors de voyages « incognito » en transports publics et lors de contrôles, dans la traversée de pays occupés. Ceci se révéla davantage un problème en France, où la connaissance de l’anglais était moins développée qu’aux Pays-Bas et en Belgique. Par ailleurs la connaissance du français, si elle était un peu plus grande du côté des britanniques et des membres du Commonwealth, notamment des canadiens, elle faisait surtout défaut, à de très rares exceptions près, du côté américain. |
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